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Te’a, le tir à l’arc polynésien

DATE(S) : 15 avril 2020 - 30 avril 2020
HORAIRES : Pas d'horaires

OÙ SOMMES-NOUS ?

L’arc (fana) possédait un statut particulier dans la société polynésienne ancestrale. Nous évoquerons aujourd’hui l’archerie traditionnelle polynésienne, à travers l’un des rares exemplaires qui nous soient parvenus complets et que nous avons la chance de conserver au Musée de Tahiti et des Îles.

Cet arc (78.03.66), le carquois (78.03.67) et les flèches associées (78.03.68) furent collectés à Tahiti entre 1821 et 1824 par le missionnaire de la London Missionary Society Georges Bennet qui les rapporta en Angleterre. Plus tard, cet ensemble fut acquis par le collectionneur James Hooper. En 1978, lors d’une vente chez Christies, la Polynésie Française se porta acquéreur de ce remarquable ensemble.

S’il existait d’autres arcs en purau (Hibiscus tiliaceus), comme le relatent William Ellis et Jacques-Antoine Moerenhout, notre arc, fana, est en ’aito (Casuarina equisetifolia), bois de fer, dur, dense et résistant. De section ronde (3,3 cm au centre), effilé vers les extrémités (2,1 cm), il mesure 2,17 m de long, et est de type longbow régulier, légèrement courbé. Il est ainsi plus grand que ceux décrits par Ellis et Moerenhout, mesurant environ 5 pieds de long (approx. 1,50 m).

La corde, taura, en fibres de bourre de noix de coco (nape) est fixée à chaque extrémité par un simple nœud. Torsadée, elle est marquée d’un noeud au niveau de chaque attache. La littérature mentionne l’existence de cordes en romaha ou ro’a (Pipturus argenteus), ou encore d’hibiscus. Les cordes cassaient souvent selon Ellis. Le tireur, pliant un genou au sol, la tendait avec la main droite jusqu’à ce que l’extrémité de la flèche touche le centre de l’arc. Bander l’arc au maximum dans cette position exigeait un grand effort.

Les 25 flèches,’ofe, sont en roseau des montagnes (Miscanthus floridulus), sans empennages, avec des pointes emboîtées en bois de fer. Sans décoration, elles mesurent 87 cm pour 19 d’entre elles et 70 à 75 cm pour les plus petites, avec une encoche peu prononcée (0,3 cm). Il semble que les flèches étaient souvent ornées, parfois richement coloriées et bariolées.

Les pointes en bois de fer, probablement noircies au feu, sont enfoncées dans le roseau, maintenues par de fines ligatures de ro’a semble-t-il, renforcées de gomme de ‘uru, arbre à pain (Artocarpus altilis). La partie enfoncée dans le roseau est légèrement dégrossie et de longueur variant de 6 à 9cm.

On remarque également des traces de résidus résineux sur ces flèches. Ceci coïncide avec les propos d’Ellis, décrivant que pour maintenir plus solidement les flèches pendant qu’on bandait l’arc, leur extrémité inférieure était enduite d’une gomme résineuse tirée de l’arbre à pain. Elles n’étaient ni barbelées, ni empennées.

Taillé dans un seul noeud de bambou d’Océanie (Schyzostachyum glaucifolium), le carquois, pe’eha (78.03.67), mesure 98,4 cm pour 5 cm de diamètre. Il est entouré de nape en 5 cerclages distincts. D’autres carquois conservés au British Museum et au Musée National d’Ethnographie de Stockholm comportent également ce type de ligatures, avec un nombre de tours cependant différents. Pourrait-il s’agir de « marques identitaires » ? D’autres encore, décrits par Ellis et Moerenhout semblaient lisses et peints. Comptant généralement entre 10 et 12 flèches, ils comportaient un couvercle – ici manquant – fait d’une demi-noix de coco noire, polie et parfois gravée, reliée au carquois par des tresses de cheveux. L’ensemble (arc, flèche et carquois) étaient de vrais objets de luxe, aussi élégants que riches.

 

Le tir à l’arc, un divertissement sportif sacré

 

Aux Îles de la Société, l’utilisation de l’arc était exclusivement réservée aux dignitaires de hauts rangs, les ari’i ou chefs qui possédaient d’immenses privilèges et les ra’atira ou grands propriétaires terriens. Jeu sacré, le tir à l’arc se déroulait sur des plates-formes spécialement réservées à cet usage. Il consistait à envoyer la flèche le plus loin possible, sans recherche de tir de précision. Si James Morrison mentionne que les femmes pouvaient également pratiquer le tir à l’arc, uniquement entre elles, ce jeu était, selon Moerenhout, l’amusement favori des chefs et celui auquel ils se livraient toujours pendant les grandes fêtes.

 

Avant la compétition, une cérémonie avait lieu sur le marae situé à proximité d’une plate-forme dédiée à ce sport, où les participants invoquaient Patutetava’e, dieu des archers. Ces derniers revêtaient un habit spécial pour la compétition, le puhipuhite’a, et portaient à l’avant-bras gauche un bracelet de protection composé d’écailles de mara, poisson appelé napoléon (Cheilinus undulatus).

 

L’accès au lieu était gardé et seules les personnes habilitées pouvaient y assister. Maximo Rodriguez, un des premiers Européens résidant à Tahiti en 1774 – 1775, écrivit ainsi que « tous les feux devaient être éteints pendant les réunions de tir à l’arc ». Cette restriction, qui était appliquée durant le déroulement des cérémonies religieuses, précise bien l’aspect sacré de ces manifestations sportives. À la fin de la compétition, les participants retournaient sur le marae pour se purifier et leurs vêtements étaient soigneusement rangés, comme les arcs et flèches, avec les objets sacrés dédiés aux cultes.

 

Les plates-formes tōrē tahua, construites en blocs de basalte à l’intérieur des vallées et en corail lorsqu’elles étaient implantées en bord de mer, étaient toujours situées à proximité d’un marae. Plusieurs subsistent aux Îles de la Société, à Ra’iatea, Huahine, Mo’orea, Tahiti et sur l’atoll de Tetiaroa, et ont fait l’objet, pour certaines, de restaurations et de valorisations touristiques.

De forme rectangulaire, partiellement pavées, leur partie avant est concave avec deux avancées de « bras » où des dalles verticales sont plantées. L’archer, placé juste derrière la partie frontale incurvée, tirait pour atteindre la plus grande distance. La technique de tir consistait à plier un genou contre une pierre dressée puis élever son arc et tendre la corde avec la main jusqu’à ce que la flèche touche le centre de l’arc (Teuira Henry 1928). Une fois la flèche projetée au son des tambours, des guetteurs, répartis le long du champ de tir ou de jeunes garçons en haut des arbres et des cocotiers, indiquaient à l’aide de petits drapeaux en tapa blanc la distance du tir, et par là même, le vainqueur. Si l’on en croit les témoignages, la distance pouvait aller jusqu’à plus de 300 m. Cette pratique du tir étaot un symbole de pouvoir et de virilité.

 

L’arc et la guerre

 

Il est souvent mentionné que l’arc n’aurait jamais servi pour la guerre à Tahiti. Pourtant, les rivalités entre les chefferies étaient fréquentes. En outre, des récits mythiques mentionnent l’utilisation de l’arc comme arme. Il était d’ailleurs utilisé comme tel aux Gambier, et dans certaines îles des Tuamotu, comme Anaa et Fangatau (Stimson & Marshall).

La présence de pointes effilées en bois de fer comme composante des flèches, suggère, au-delà de leur équilibrage, un probable usage antérieur comme arme. On retrouve d’ailleurs ce type de pointes en bois de fer en Polynésie occidentale, parfois barbelées, utilisées pour la guerre ou la chasse.

 

L’évolution de l’utilisation de l’arc est ainsi suggérée par Handy en 1930, pour qui les ari’i, minoritaires, établirent leur suprématie en faisant de l’arc un objet tapu dans l’intérêt de leur protection, préservant par la même occasion, leur propre habilité dans son utilisation et ne le pratiquant plus que comme un sport d’élite, fortement ritualisé. Toutefois aucune preuve ne vient étayer cette supposition.

La même année, Edouard Ahnne, souligne quant à lui combien l’environnement naturel ne permettait pas l’utilisation de cette arme, les Polynésiens étant par ailleurs d’habiles pêcheurs lanceurs de harpon n’ayant que peu usage de l’arc. Lui étaient préférés le corps à corps, les massues et casse-têtes pour le combat, plus dignes d’un brave guerrier.

Ce sport populaire chez les classes dominantes a rapidement disparu avec l’arrivée des Européens et du christianisme, en raison des rituels qui l’accompagnaient. Il est probable qu’en brûlant les idoles, les missionnaires aient également détruit les arcs et flèches qui y étaient associés.

Aujourd’hui, subsiste lors des fêtes en juin et juillet, un tir de précision au javelot (pātiafā). Propulsé par l’index depuis un pas de tir situé à 22 m de distance, le javelot doit atteindre une noix de coco fichée au sommet d’un mât à 9,50 m de haut.

Cet article a été rédigé par Vairea Teissier (Musée de Tahiti et des Iles à Tahiti – Te Fare Manaha) et Jean-Luc Rieu (Musée départemental de Préhistoire à Nemours)

Remerciements pour leur aide précieuse à Michel Tetuaiteroi, assistant conservateur au Musée de Tahiti et des Iles – Te Fare Manaha, Véronique Mu Liepmann, conservatrice au Musée de Tahiti et des Iles – Te Fare Manaha et à Pierre-Alexis Kimmel, restaurateur au Musée du Quai Branly à Paris.

 

Références

Ahne, E. 1930.  « L’arc chez les Polynésiens ». Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes n°36.

Handy, W.C. 1930, History and Culture in the Society Islands. Bernice P. Bishop Museum Bulletin 79. (1971 Ed.), Honolulu, Hawaii.

Henry, T. 2000, Tahiti aux temps anciens. Publication de la Société des Océanistes N°1, Musée de l’Homme, Paris, 722 p.

Ellis, Rvd. W., 1971, A la recherche de la Polynésie d’autrefois. Publication de la Société des Océanistes n°252, 2 volumes, Paris.

Moerenhout, J.-A., 2006, Voyages aux îles du Grand Océan. Géographie. Editions La Lanterne magique, Besançon, 318 p.

Morrison, J., 1981, Journal de James Morrison, second maître à bord de la « Bounty ». Traduit de l’anglais par B. Jaunez. Publication de la Société des Etudes Océaniennes, Papeete.

Rodriguez, M., 1995, Les Espagnols à Tahiti (1772-1776). Publication de la Société des Océanistes N°45, Musée de l’Homme, Paris.

Stimson, F., Marshall, D.S. 1964, A dictionary of some Tuamotuan dialects of the Polynesian language, Ré-édition Société des Etudes Océaniennes, 2008, Papeete.

Tyerman, D., Bennet, G., 1831, Journal of their voyages and travels (compiled by James Montgomery). London, 2 vol.

 

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